Jean Corrèze : peintre, sculpteur et illustrateurJean Corrèze : peintre, sculpteur et illustrateur

 

Images et fractales

 

Les questionnements sur le monde naturel et sur la place qu’y occupe l’homme prennent des voies multiples. Depuis les années 1980, l’artiste Jean Corrèze a choisi de faire dialoguer l’homme et son environnement naturel au travers d’ un langage commun : les fractales, formes naturelles irrégulières, théorisées par le mathématicien Benoit Mandelbrot.

 

          Des fenêtres fractales

Difficile de savoir à quels motifs de la réalité renvoient, à première vue, les peintures de Jean Corrèze. S’agit-il de paysages, de surfaces observées au microscope ou au contraire de ciels profonds et parsemés d’astres… Sans échelle, sans mesure, sans référence précise à un objet du monde réel dont nous connaîtrions les dimensions, nous ne savons comment interpréter le message visuel que nous renvoie notre œil .Pour répondre à cette volonté irrépressible de reconnaître dans ces images un élément du monde qui nous entoure, nous ne pouvons alors nous fier qu’à notre expérience, à notre propre bibliothèque visuelle.

 

          Un alphabet, un lexique et une grammaire

C’est la couleur qui prime chez Jean Corrèze. Elle n’est jamais unique, seule. En général, une dominante est mise en valeur par d’autres couleurs, discrètes. Sources de lumière, elles contrastent et s’extraient de l’obscurité ténébreuse des aplats noirs qui occupent parfois la majeure partie de la superficie des œuvres de Corrèze. Elles créent ainsi l’espace, le volume, la profondeur entre les formes et le fond, mais aussi entre les formes elles-mêmes.

 

A travers elles, la lumière, comme décomposée, donne corps à des formes aux contours indéfinis. Ces formes et leurs agencements, Jean Corrèze les veut de dimension fractale. En s’approchant de ses peintures, le spectateur s’aperçoit que les lignes ne sont pas lisses, régulières, mais des méandres, sinueux, rugueux, aux épaisseurs variables, aux tracés compliqués. Les formes apparemment les plus simples sont en fait innervées de multiples embranchements donnant eux- mêmes naissance à des follicules de plus en plus complexes. Un réseau qui semble ne jamais s’arrêter se déploie sous nos yeux, si bien que plus on s’approche et plus la surface peinte semble s’enrichir de formes, de couleurs, plus encore que la toile ne saurait en contenir. C’est une peinture en mouvement, en extension. Les étendues peintes de Jean Corrèze n’ont de frontières que celles inhérentes au format du support peint, tandis que les profondeurs où elles conduisent semblent n’être limitées que par les capacités du système oculaire du spectateur : le foisonnement s’arrête-t-il aux limites imposées par notre œil où s’enchevêtre-t-il au–delà, aux limites de ce que la matière picturale lui autorise ?

On peut chercher, dans les œuvres peintes de Jean Corrèze, une reproduction exacte à l’infini (degrés 2, 3, 4, etc…) de la structure générale des formes que l’on voit au premier regard (degré 1). C’est ce que présuppose la fractalité2. Pourtant, on ne la trouvera pas exactement. En revanche, c’est dans une même couche, un même niveau de profondeur que le motif fractal se reproduit à l’infini chez ce peintre. Dans le cas d’œuvres mécaniques, créées à partir de l’outil informatique par exemple, ces motifs seraient rigoureusement identiques quels que soient les de profondeurs ; ici, ils sont uniquement semblables dans leur mode de combinaison. En d’autres termes, les éléments unitaires sont similaires (d’allure sinueuse, d’allure purement géométrique, etc.), mais les dessins, les formes qu’ils composent sont semblables sans être rigoureusement identiques. Toutefois, on observe une infinie variété de formes et une très grande finesse dans le rendu de leur complexité. Cela est dû à la technique employée par l’artiste, mettant en œuvre les caractéristiques naturelles de diffusion de la matière (dynamique des fluides).

Par ce procédé Jean Corrèze dévoile, à des endroits choisis par lui, la matière et, à travers elle, la nature. Il laisse apparaitre des formes irrégulières et aux architectures qui le sont tout autant, qui étaient là, dans l’attente d’être révélées. Il les met, à proprement parler, en lumière ; il permet à une force, à une énergie constructive naturelle de se donner à voir. Sortant de l’ombre, la couleur crée la forme, témoigne de l’existence de la matière, révèle le monde. La superposition des couches picturales prépare la création d’un monde infini et indéfini et où la matière, sortie du chaos, s’ordonne ; les compositions ouvertes de l’artiste sont comme une fenêtre, un «  morceau choisi » d’une immensité qui déborde nécessairement du cadre et ne saurait être représentée dans sa totalité. A la (dé)mesure de cette sublime immensité, le spectateur se questionne sur sa propre dimension, s’interroge sur sa condition et commence à prendre conscience de l’intrication qui le mêle au monde naturel.

La totalité du monde est là. L’œuvre est le sujet de l’œuvre : la chose représentée est la matière dont l’œuvre est elle –même constituée. L’artiste expose la matière au regard de l’homme, qui découvre lentement qu’il s’observe en regardant la toile.

 

Auteur : Pascal Ricarrère