Jean Corrèze : peintre, sculpteur et illustrateurJean Corrèze : peintre, sculpteur et illustrateur

L’atelier selon Saint-Jean

 

 

Celui qui entre par hasard dans la demeure d’un poète

Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui

Que chaque nœud du bois renferme davantage

De cris d’oiseaux que tout le cœur de la forêt…


      Les mots du printanier René-Guy Cadou se sont imposés à ma mémoire lorsque j’ai découvert l’atelier de Jean Corrèze. Ce lieu à eu pouvoir sur moi, en effet, je me suis  senti d’emblée sous le charme d’une caverne d’Ali Baba - une caverne dont les trésors ne sont pas d’or ni de pierres précieuses, mais de métaux au rebut, de résidus électroniques, de circuits imprimés en attente d’un vague recyclage, d’une improbable renaissance… Car c’est bien d’une rédemption qu’il s’agit et, si le gardien de cette enclave des Mille et Une Nuits bidouille avec tant de minutie et de patience  ses matériaux de récup, ce n’est pas pour relever on ne sait quelle gageure, pour la prouesse technique – impressionnante, au demeurant - qu’exige un labeur aussi méticuleux, c’est pour faire de ferrailles en déshérence des offrandes votives, ériger des totems a quelque bon génie, à quelque déité cosmique. Jean Corrèze dresse des autels à ses dieux. Il arpente un chemin de Saint-Jacques très humble, très secret qu’il rythme de ferventes actions de grâces- tel le pèlerin, tel le chaman, que guide seule la quête des présences sacrées.

      Alors, d’un lieu de bric et de broc, de débris de tôle arrachés aux poubelles, aux déchetteries, s’élèvent le murmure de ruisseau d’un cantique, la rosée musicale d’une prière. Pas étonnant de voir  conviés au festin de cette création les esprits mystiques de l’Inde et de l’Afrique, des masques Dogons ou bantous, des hiéroglyphes égyptiens à côté des bas – reliefs d’un temple khmer noyé sous les frondaisons de la canopée, un arbre du savoir jouxtant une statue du Crucifié.

     Et les christs suppliciés, dont on croise au hasard du dédale le regard souffrant, dissuadent de voir ici l’œuvre d’une foi naïvement béate. Au contraire, les fêlures qui se lisent au fond de certaines fractales évoquent nos manques, nos peurs, les prisons qui nous enclosent, voire les barbelés des camps… elles sont autant d’écorchures dans nos chairs meurtries. Affleurent  alors dans ces tableaux, en apparence si lisses, si pacifiés, les accrocs, les fractures de la vie, les blessures de l’histoire, dont nous gardons les cicatrices encore envenimées. Peut-être est-ce la vocation des poètes, des peintres, de hasarder d’audacieuses épissures entre les lambeaux lacérés de notre être, de tenter de recoller les morceaux éclatés de toute vie. Les alchimistes prétendaient changer la boue en or… n’est – ce pas le vœu des artistes, dans ce monde exsangue, harcelé, de ménager la meilleure place, la place la plus belle, à la beauté ? A ce travail d’enchantement, Jean Corrèze s’emploie merveilleusement.


Henri Zalamansky